Démarche artistique

Technologies de surveillance et de contrôle, science, politique, écologie, corporéité, éthique du vivant sont autant de territoires appréhendés sous le prisme du seuil par David Agius. En s’appropriant les modes de pensées, les mécanismes et les attributs protocolaires de ces différentes disciplines, il expérimente sans cesse pour mettre à jour les paradoxes autrement invisibles de nos systèmes actuels. Pour en capter précisément les limites, il met au point des protocoles techniques hybrides et parfois polymorphes d’une apparente simplicité. Ces derniers permettent à la fois l’émergence, le développement et la captation de seuils spécifiques, révélant de facto de nouveaux horizons sensibles. Après avoir réalisé des expérimentations à caractère scientifique sur des mollusques entre la vie et la mort ou sur des bactéries migrantes s’évertuant à traverser une frontière, il s’est rendu compte que notre mode de pensée contemporain était lui-même biaisé par l’utilisation effrénée de ces seuils : ils deviennent notre unique manière d’appréhender le monde. La démarche artistique de David Agius vient alors interroger cet acquis, le remettre en question, voire même le contester pour, in fine, tenter de percer le réel à jour.

Surveillance and control technologies, science, politics, ecology, corporality, ethics of the living, are all territories that David Agius has studied under the prism of the threshold. By appropriating the modes of thought, mechanisms and protocol attributes of these various disciplines, he constantly experiments in order to reveal some invisible paradoxes of our current structures. In order to precisely capture their limits, he develops technical protocols, combining photography, video and installation. The latter allow for the emergence, development and capture of specific thresholds, revealing de facto new sensitive horizons. After conducting scientific experiments on molluscs between life and death or on migrating bacteria trying to cross a border, he realized that our contemporary way of thinking is itself biased by the uncontrolled use of these thresholds: they become our only way of apprehending the world. David Agius’s artistic approach interrogates, and even challenges this knowledge in an attempt to uncover the reality of the world.

 

Thèse internationale : Quand le seuil fait œuvre


« Quand le seuil fait œuvre » est une recherche qui se déploie dans le champ des arts visuels. Par une approche poïétique, elle repose sur la conception d’œuvres inédites et sur un développement théorique rigoureux. Elle tend à expliciter le seuil pour comprendre quand celui-ci fait réellement œuvre. Cette quête du seuil se construit au travers d’Espace-Jeu, une performance dans laquelle les corps déambulent et tracent dans et hors de l’exposition. Si la performance autorise tous les débordements, les actions font apparaitre des limites insoupçonnées et indépassables qui réintroduisent paradoxalement le seuil à l’intérieur de ses frontières originelles. Si le corps humain pose problème, il est opportun de l’écarter pour que le seuil puisse se déployer pleinement. Vient alors une phase d’expérimentation sur des organismes vivants non humains dans les séries Brisée et Déterritorialisation. Placés dans des dispositifs presque scientifiques, ceux-ci donnent littéralement (leurs) corps au seuil, révélant au plus profond de leur chair l’interstice vital. Leurs corps deviennent alors des moules permettant au seuil d’émerger ; ils protègent alors le seuil au péril de leur vie. Malgré ces expérimentations chirurgicales, le seuil découlant des corps organiques répond toujours à des stimulus prévisibles. Et pour cause : notre modèle de pensée actuel est basé sur des seuils qui vont jusqu’à influencer la création artistique même. Vient alors le moment d’élever des machines, notamment Obsolescence imminente nécessaire, pour déconstruire ce seuil en le réduisant à des données inintelligibles. Ainsi questionné et vidé de sa substance, le seuil peut essentiellement faire œuvre.

 

• Doctorat en Arts et Sciences de l’Art, spécialité Arts plastiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut Acte Paris 1/CNRS Arts et sciences, Paris, session 2019, soutenance le 25 janvier 2020.
Membres du jury : Anne Creissels, Sandrine Morsillo (directrice d’études), Patrick Nardin (président du jury) et Yann Toma.
Déterritorialisation


Déterritorialisation est une expérience scientifique captée numériquement. Au centre de l’image, une boite de Petri se place comme sujet principal et se détache du fond flou. Divisée en deux par une ligne lumineuse, elle abrite des populations de microorganismes (bactéries, virus, levures, etc.) qui prennent vie, se développent et se déplacent selon différents facteurs environnementaux. Placés dans un dispositif photographique conçu pour l’œuvre, les microorganismes sont activés, cultivés ou ramenés à la vie dans un environnement approprié, mais hautement sélectif. Pour survivre, ils doivent naturellement mettre en place des stratégies de prolifération, en se déplaçant, en traversant une frontière, un seuil, qui les mènera vers les ressources nécessaires à leur sauvegarde, rejouant en définitive la sélection naturelle darwinienne. Leur regroupement en trois populations distinctes n’est pas anodin. Si la boite de Petri était comprise comme un disque de 360°, les épicentres des populations seraient positionnés respectivement à 110°, 170° et 240°. Cette disposition topologique particulière reprend en réalité les emplacements géographiques des camps de réfugiés installés à Calais par rapport à la frontière franco-britannique jusqu’à 2016. Superposés à une carte de Calais, les agencements des populations coïncident parfaitement. Chaque expérience photographie est réalisée en hommage à un ou plusieurs réfugiés décédés lors de la traversée de cette frontière. Au-delà de cette analogie, les choix stratégiques des protagonistes semblent illusoires. Si leurs déplacements mettent en jeu et questionnent les mécaniques d’un seuil, parfois compris comme une frontière arbitraire, comme un entredeux infranchissable, comme la limite démographique d’une population, comme une limite sanitaire ou sociale, voire comme une limite morale ou politique, ils demeurent, malgré eux, tributaires de leur environnement.

 

• David Agius, Déterritorialisation, 2015-2017, série de photographies sur aluminium, 66 x 100 cm chaque.